Chassez le naturel … il revient au galop
L’année dernière, je dirigeais encore La maison de Léna, feu ma petite entreprise (chérie). Celle-ci vous le savez se distinguait depuis 2006 par ses petits fauteuils pour enfant, aux couleurs claires et si légers en cannage et rotin écorcé (la petite chaise Léna ou le célèbre fauteuil Cabane…), presque toutes mes collections de mobilier étaient non seulement fabriquées en France mais déclinées dans ce matériau magique et 100% naturel.
J’avais donc été ravie d’observer dès l’hiver dernier, que les poupées du noël russe du Printemps Haussmann étaient faites entièrement en osier, et leur têtes messieurs dames étaient même tressées – par mon fabricant soit dit en passant – qui réussit l’exploit de réaliser des matriochkas géantes, dont une haute de plus de 5 mètres pour illustrer le thème slave du magasin.

Puis la tendance se durçit en mars 2010, et quelle ne fut pas ma joie de ressentir ce retour aux matériaux naturels dans les accessoires, je me souviens encore du soutien gorge en fibres d’osier Fabrics Interseason du n° 3351 de ELLE Magazine…

Puis l’été dernier j’avais succombé aux sandales en fibres naturelles tressées de Robert Clergerie (qui malheureusement n’avaient de naturel que la matière et non la demarche que vous vous chopiez avec ces péniches en raphia!)
J’avais donc jubilé en observant une augmentation sensible de mes commandes de mobilier, notamment de la part des pays de l’Europe du Nord et la Suisse mais aussi curieusement en sens inverse: from Greece ! et en sens non interdit (USA !)

La france elle, continuait à bouder…. Comme d’habitude j’ai envie de dire. Bien sûr chez nous, l’un des premiers à mettre en avant cette technique ancestrale fut Christian Dior qui fit du cannage une signature iconique en empruntant le motif pour les boîtiers de ses lignes de maquillage, palettes de fards, ou tubes de rouges et pour “gaufrer” ses sacs à main, ses flacons de parfum…
Puis plus récemment, Hermès, qui vient de dévoiler son nouveau monde rive gauche, dans le site de l’ancienne piscine du Lutetia – là aussi, l’hommage à la fibre naturelle est grandiloquent, comme l’est aussi celui du savoir faire qui aujourd’hui ne signifie plus des produits bien faits pour tous, mais des produits bien faits pour un (tout) petit nombre … L’excellence du luxe donc. La décoration ici se déploie en plusieurs gigantesques volutes de bois clair, du bambou, des fauteuils de salon de thé en moëlle de rotin et des cocons végétaux tout droit sortis de Pandora, c’est une splendeur !
Le plus fort, c’est que, depuis, La maison de Léna a cessé son activité, la tendance non seulement se confirme mais fait preuve de durabilité ! ce qui avouez est un modèle du genre dans le cycle infernal de la nouveauté en langage ‘Fashion’ évidemment – je me félicite d’autant plus d’avoir reniflé la tendance si tôt…
Et ce fut une lutte croyez-moi pour faire oublier auprès de la clientele française les culbutes de Sylvia Kristel sur son célèbre fauteuil en rotin, pour réhabiliter ce matériau extraordinaire, si souple et si léger, un travail au corps pour faire changer d’avis les mous du genou hantés par des colonies de sous-bock en cannage, de corbeilles à pain ou de fauteuils pour enfant non écorcés que toute maison de famille qui se respecte a dans ses greniers.
Chassez le naturel me direz vous il revient au galop, et j’espère bien revenir même au petit trot… parce que de voir crever nos fabricants français garants de savoir faire rares, c’est une honte pour nos capacités, nos métiers, cela revient à faire mourir le patrimoine de notre pays. Et moi j’ai pas les sous comme Vuitton ou Hermès pour les racheter ces trésors là.

Puis il y a quelques mois, en feuilletant l’Officiel spécial accessoires Printemps-Eté, quelle ne fut pas ma surprise en admirant au fil des pages ces brins naturels enlacés! Non seulement Clergerie nous ressort au détail près, exactement les mêmes sandales que l’été dernier (a t-on jamais vu ? c’est LE challenge du moment, qui secoue littéralement la théorie de la capsule qui sévit depuis plusieurs années, et d’ailleurs rien que dans l’idée de faire de la mode avec du réchauffé, ça me plait bien) magnifiquement belles au demeurant mais qui rendraient éléphantesque même une liane de podium.
Marc Jacobs, Roger Vivier, Gucci, Stella mc Cartney, Burberry (depuis 2008 déjà)… Les créateurs s’imposent à grands coups fibres naturelles, la corde des sandales compensées, le raphia, la ficelle, l’osier. Gucci propose donc pour cet été des ankle boots qui ressemblent à mon fauteuil Cabane, Stella Mc Cartney des sacs à main en cannage français…

Bien decidée à lui faire part de tout cela, je suis donc retournée à Rémilly-sur Lozon et j’ai interviewé mon fabricant Olivier Lehodey vannier depuis 1864, pas moins de 4 générations, qui dans un contexte de folle mondialisation, se demande sérieusement si il y en aura une 5ème…
Sophie Z : Depuis quand utilise-t-on les propriétés des matières naturelles pour notre vie quotidienne ? Et quelles sont les techniques de fabrication ?
O.Lehodey : Depuis la nuit des temps, les matières naturelles notamment végétales sont utilisées dans la vie quotidienne. Ainsi l’osier qui provient d’un saule (salix), a rempli une multitude de fonction. Les techniques de fabrication sont simples : il suffit d’entrelacer les fibres végétales pour ajouter la solidité à leur souplesse légendaire.
S.Z : Du fait qu’il soit entièrement manuel, comment ce savoir faire peut-il résister à la globalisation et aux faibles coûts de main d’œuvre proposés par l’Asie, l’Indonésie ?
O.L : Effectivement, le métier de vannier est resté 100 % manuel car la matière s’avère « capricieuse » (dans sa forme, sa résistance, sa souplesse, son taux d’humidité donc sa flexibilité…) et seule la main de l’homme peut, de manière rentable, « sentir » évaluer chaque brin. On parle alors de l’intelligence des mains qui ne sera évidente qu’après de longs mois d’apprentissage jusqu’à ce que chaque geste devienne un réflexe. Face aux faibles coûts de main d’œuvres de l’Asie, la Chine, etc…. Ce métier disparait en France : à ce jour il reste moins de 120 professionnels contre 15 000 en 1950. Pour rester « entreprise Française du Patrimoine Vivant », le sur- mesure, la qualité de la matière et du travail, le délai d’exécution, la ligne (le design) et la rareté des exécutants sont autant d’atouts décisifs.
S.Z : Je sais pour avoir travaillé avec toi, que tu détiens un savoir faire unique, comment le préserver, le protéger ? Ou même donner l’envie de perpétuer cette tradition, ce métier ?
O.L : C’est vrai que nous sommes une espèce en voie de disparition ! Pour préserver et protéger ce savoir faire ancestral, il faut se regrouper, communiquer, rester tendance : Il faut être passionné, fier de ses racines, habile de ses mains, libre dans sa tête face à ce monde qui devient virtuel.
S.Z : La maison de Léna a été sensible à ce matériau pour ses propriétés naturelles et fonctionnelles uniques, d’autres designers ont manifesté de l’intérêt pour le rotin, lesquels ?
O.L : La sensibilité au matériau est importante pour le public : l’osier et le rotin, passent pour des matières «usées » (sauf le rotin dit synthétique, où l’on perd tout le sens de la matière naturelle !!).Or, un désigner aura de par son regard une approche totalement inversé sur ces végétaux : s’ensuit des lignes fluides, harmonieuses élancées, chaleureuses, contemporaines, futuristes pourquoi pas ? ! La main de l’homme est là pour transcrire l’idée, lui donner corps et âme : l’osier transpire l’homme. Ainsi, Matali Crasset, Domeau & Péres ont précieusement dans leur carnet d’adresses le nom de ces magiciens du saule.
S.Z : Et si l’on parle écologie ? C’était un point que je souhaitais tout particulièrement développer pour ma marque, on y était parvenu avec les vernis, quel est ton parti pris là-dessus ?
O.L : D’un point de vue écologique, la vannerie est très bien placée : travail 100 % manuel, utilisation d’une matière végétale, solide, légère, souple, biodégradable. C’est un matériau sain qui ne subit aucune transformation chimique si ce n’est l’ardente passion du tresseur. De plus en plus de finitions sont à base d’eau mais par la même plus délicates à utiliser (temps de séchage, recouvrance, résistance…). Les fabricants y travaillent et nous serons bientôt en mesure d’utiliser des gammes de laques cellulosiques qui respectent à la fois l’environnement et aussi les hommes, que ce soient nos ouvriers en ateliers ou les utilisateurs chez eux.
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